Face à l’impressionnant déploiement de la puissance technique et des menaces qu’elle porte avec elle, notre époque se rend de moins en moins sourde à la nécessité de faire droit à un principe de responsabilité à l’égard des générations futures, de la vie et de la Terre.
Mais il ne pas de soi qu’un régime politique soit apte à incarner un tel principe éthique. En effet, on ne voit pas bien, d’une part, comment on pourrait représenter les intérêts des générations futures puisqu’elles ne sont pas encore nées, d’autre part, comment défendre les intérêts des vivants et de la Terre puisqu’ils ne sont pas sujets de droit.
Faut-il en conclure que la nouvelle exigence éthique n’est qu’une utopie irréalisable qui pourrait même être dangereuse pour les démocraties si on cherchait à tout prix à l’incarner ? En effet, si l’on peut critiquer la démocratie parce qu’elle ne se soucie pas de la planète, des êtres vivants et des générations futures, on peut aussi critiquer un régime qui prétendrait défendre de tels intérêts au détriment des droits des sujets classiques, à savoir les hommes contemporains.
Faut-il donc reconnaître l’insuffisance de la démocratie au regard des exigences éthiques du principe de responsabilité ou bien au contraire le caractère inadéquat du principe éthique devant le régime démocratique ? Existe-t-il un moyen de dépasser cette alternative, de réunir les deux têtes de l’aigle et de concilier les exigences éthiques avec les exigences politiques ?
C’est les voies d’une telle réconciliation que cet ouvrage se propose d’explorer grâce au concept de démocratie environnementale.
Nous y montrons que c’est la notion de délibération qui permet d’articuler les plans éthique et politique. Commandée par le principe de responsabilité, elle offre au sujet la possibilité de se rapporter à sa condition naturelle, de s’interroger sur son appartenance terrestre et de prendre conscience des inégalités environnementales. Elle est une alternative à une certaine manière de concevoir la démocratie à partir d’une logique étroitement contractualiste. Le principe éthique de responsabilité conduit donc à un principe de justice environnementale grâce auquel chacun, doté de la même dignité, peut préserver la part de nature qui lui revient.
Ce principe offre également les conditions d’une critique de la souveraineté nationale, sans exiger sa suppression mais en l’intégrant au sein d’une communauté de responsabilité plus vaste où les individus sont des sujets éco-cosmopolitiques.
Cette conception politique nouvelle bouleverse notre manière de nous représenter notre existence et invite à assumer la finitude de notre condition naturelle en reconnaissant le caractère profondément relationnel de notre vie. Comme telle, elle a une dimension ontologique et repose sur une éthique de la Terre qui ne peut plus être vue comme une planète parmi d’autres mais comme le lieu même où la vie est possible.