Conférence dans le cadre du laboratoire Logiques de l’agir du département de philosophie de l’université de Franche-Comté, mercredi 9 mars à 18h au Grand salon.
Présentation:
Il y a au moins deux manières de méconnaître le sens propre de la violence. Soit on la déclare scandaleuse, incompréhensible, condamnable au prétexte d’être l’absurde même, l’injustifiable, l’inacceptable au sein d’un ordre qui prétend être humain. Soit, au contraire, on tend à trivialiser la violence en la considérant comme un objet, naturel ou social, susceptible d’une explication de caractère mécaniste. Tantôt extraordinaire car elle nous exile de l’ordre véritablement humain, apparaît comme une exception dont le surgissement paraît énigmatique et qui menace la quotidienneté des affaires humaines, tantôt au contraire ordinaire car toujours susceptible de menacer les relations humaines en vertu de causes ou de conditions qu’il est possible d’étudier sous un jour scientifique, la violence comme phénomène pourrait bien, cependant, relever de ces deux domaines de la réalité à la fois.
Elle est comme un ordre extraordinaire. D’une part, en effet, quand elle survient, elle ne semble venir de nulle part, en ceci qu’elle se caractérise par une espèce de disproportion ou de démesure au regard de ce qui pourrait la susciter quand on parvient même à identifier des facteurs pouvant la favoriser. Elle a dès lors une allure transgressive et prend l’apparence de l’irrationnel. On ne saurait lui prêter un sens puisqu’elle est au contraire cela qui, davantage même que mettre en question le sens, semble en détruire la possibilité. Pourtant, elle est tout aussi bien cela qui ne suscite guère la surprise. On sait bien qu’elle peut toujours survenir, perturber ou menacer l’ordre des relations humaines, qu’elle est comme un risque qui, toujours, menace la paix. Sa possibilité relève d’une forme de banalité comme si elle était constitutive de l’humanité de l’homme.
C’est ce paradoxe de la violence qui nous invite à tenter d’en clarifier la signification, à découvrir le sens de ce non-sens susceptible de mettre en question ou de détruire l’ordre des relations humaines. Se pourrait-il que la violence soit constitutive de l’humanité de l’homme ou, pour être plus précis, se pourrait-il que la possibilité de la violence et la menace qu’elle fait peser sur la capacité de l’humain à faire sens nous dise quelque chose sur son essence propre et sa vulnérabilité ? Pour tenter d’accueillir cette question, il faudra, dans un premier temps, tenter de neutraliser les présupposés qui font de la violence tantôt une sorte de force mystérieuse dépourvue de toute signification propre ayant le parfum du scandale absolu, tantôt un objet scientifiquement étudiable. Désintéressons-nous de la violence entendue comme évènement de caractère métaphysique ou comme objet relevant des lois de la nature et revenons à la chose même, c’est-à-dire à la violence telle qu’elle se donne à nous, telle que son phénomène nous apparaît ou nous advient.
Or, comme nous le verrons, la violence est peut-être bien ce qui met la phénoménologie (comprise comme science des phénomènes) au rouet dans sa prétention à la décrire en tant que phénomène. En effet, si la violence est ce qui détruit le sens et même sa possibilité, alors elle relève de l’inconstituable. Comment la phénoménologie pourrait-elle dès lors procéder à la description d’un phénomène qui paraît échapper à ce qu’une conscience peut expérimenter puisque c’est au contraire ce qui défait tout pouvoir d’expérimenter ? Cette mise en question de la phénoménologie traditionnelle par un « phénomène » aussi dérangeant est précisément ce qui nous contraint à faire évoluer ses coordonnées propres et à nous tourner vers la phénoménologie asubjective de Jan Patočka qui nous servira ici de fil conducteur de même que les analyses de Michael Staudigl.