« Face à l’impressionnant déploiement de la puissance technique et des menaces qu’elle porte avec elle, notre époque se rend de moins en moins sourde à la nécessité de faire droit à un principe de responsabilité à l’égard des générations futures, de la vie et de la Terre. Mais il ne pas de soi qu’un régime politique soit apte à incarner un tel principe éthique. En effet, on ne voit pas bien, d’une part, comment on pourrait représenter les intérêts des générations futures puisqu’elles ne sont pas encore nées, d’autre part, comment défendre les intérêts des vivants et de la Terre puisqu’ils ne sont pas sujets de droit. Faut-il en conclure que la nouvelle exigence éthique n’est qu’une utopie irréalisable qui pourrait même être dangereuse pour les démocraties si on cherchait à tout prix à l’incarner ? En effet, si l’on peut critiquer la démocratie parce qu’elle ne se soucie pas de la planète, des êtres vivants et des générations futures, on peut aussi critiquer un régime qui prétendrait défendre de tels intérêts au détriment des droits des sujets classiques, à savoir les hommes contemporains. Faut-il donc reconnaître l’insuffisance de la démocratie au regard des exigences éthiques du principe de responsabilité ou bien au contraire le caractère inadéquat du principe éthique devant le régime démocratique ? Existe-t-il un moyen de dépasser cette alternative, de réunir les deux têtes de l’aigle et de concilier les exigences éthiques avec les exigences politiques ? C’est les voies d’une telle réconciliation que cet ouvrage se propose d’explorer grâce au concept de démocratie environnementale. »
“En décrivant le phénomène de la perception, la phénoménologie est conduite à remonter du monde où nous nous trouvons toujours déjà pour revenir à la source de l’apparaître, à la conscience intentionnelle animant une matière sensible pure. Mais comment rendre compte de la donation de cette matière première ? Est-ce seulement possible ? Faut-il se satisfaire d’une conception transcendantale de la chair pour rendre compte de ce sentir pur ? Ou bien doit-on et peut-on remonter en deçà, en direction d’un événement grâce auquel il y a du sensible ? La chair aurait-elle alors pour fonction d’assurer le passage entre cette première donne du sensible et le monde tel que nous le constituons ? S’il en était bien ainsi, toute la question serait alors de savoir comment articuler les deux sens de la chair, événementiale et expressive, afin d’en éviter la déchirure. L’exploration du corps érotique serait-elle à même de réconcilier la chair avec elle-même pour ainsi nous livrer le secret de notre condition sensible ?
C’est ce que cet ouvrage prétend méditer en s’appuyant sur les ressources offertes par la phénoménologie jusque dans ses développements les plus contemporains. »
Si l’on peut parler d’événement historique à l’occasion des mouvements de révolte inaugurés par le Chili à partir du 18 octobre 2019, c’est au sens où rien ne pouvait laisser deviner que la décision concertée de la part de lycéens de la capitale de frauder et de refuser de payer le ticket de métro pour protester contre l’augmentation de son prix allait entraîner un mois plus tard une seconde décision autrement plus radicale : celle de la majorité des partis politiques chiliens de soumettre au suffrage universel non seulement la possibilité d’opter pour un changement de Constitution mais également celle de choisir le processus électoral présidant à ce changement. C’est la logique de ce moment historique, inouï et encore en cours, que nous restituons dans cet article.
En dépit de la jeunesse du réalisateur, l’œuvre de Dolan est déjà considérable, avec huit films à son actif. Quand bien même on doive reconnaître la singularité de chacun d’entre eux, preuve de l’originalité du cinéaste, il semble pourtant que son œuvre procède d’une même préoccupation fondamentale : amener au visible ce que Merleau-Ponty appelait « la proposition de vivre » en tant qu’elle se déploie sous la forme d’un espace d’intimité. Le cinéma de Dolan parvient à faire venir au jour ce que la vie quotidienne, et peut-être encore davantage l’organisation sociale moderne (capitaliste), tend paradoxalement à occulter, à savoir la constitution des relations intimes. Ainsi, son cinéma est un cinéma de la confidence, de la foi partagée en un monde commun où chacun réussit (ou non) à advenir à lui-même pour ce qu’il est grâce à un processus de reconnaissance réciproque. C’est la description de ces vies, comprises sur le mode de « la proposition », de cette intimité intersubjective problématique et des moyens cinématographiques utilisés pour en rendre compte que cet article prend pour objet.
Il nous semble que c’est une prétention commune à rendre compte de la différence phénoménologique comme telle, sans la rabattre sur les différences métaphysique, “épistémologique” et ontologique, qui permet de rapprocher les philosophies de Jean-Luc Marion et de Renaud Barbaras. C’est ce que nous montrons dans cet article en adoptant une méthode phénoménologique qui se heurte aux limites de la phénoménologie traditionnelle. Dans les deux cas, il s’agirait de rendre compte du mouvement grâce auquel la manifestation comme telle, ou en soi, nous advient et par laquelle nous advenons à nous-mêmes en montrant le monde et en nous découvrant à nous-mêmes à cette occasion.
Par-delà l’alternative d’une écologie enfermée dans des recommandations techniques, qui n’ont ni force motivante ni légitimité prescriptive, et d’une morale environnementale qui prétendrait commander aux volontés par le moyen d’obligations strictes faisant frein au déchaînement des égoïsmes, Naess prétend définir une troisième voie apte à surmonter les périls d’une vision simplement scientifique et technique de la nature. Mais la promotion d’une conception écologique de la subjectivité suppose une nouvelle ontologie de la nature que le philosophe norvégien s’attache à établir en relativisant la position objectiviste. C’est cette ontologie et cette éthique de la réalisation écologique de soi dont nous présentons dans cet article les difficultés internes et les coordonnées principales.
C’est au moins un triple problème que l’éthique environnementale doit affronter en vue de sa constitution. Il s’agit, en premier lieu, de comprendre comment nous pouvons construire un accès à la notion de « communauté biotique », en second lieu, de savoir quel sens d’être il faut lui accorder, et enfin à quelles conditions on peut considérer qu’il s’agit là d’un objet doté de valeur. La réponse à cette triple interrogation, épistémologico-ontologique et axiologique, est la condition pour penser un devoir écologique. Dans ce but nous souhaitons montrer que les héritiers de Leopold, Callicott et Rolston se heurtent à une aporie qu’ils ne dépassent pas. Or la question du changement climatique, en particulier telle qu’elle est abordée dans le dernier état de la pensée de Callicott dans Thinking Like a Planet, s’avère à cet égard éclairante, puisqu’elle acte la possibilité et la nécessité de réformer l’éthique environnementale en vue de surmonter une telle aporie tout en la mettant en crise comme jamais. Il s’agira alors de montrer en quel sens la pensée de Jonas nous fournit des éléments pour dépasser cette limite sans préjuger pour autant du caractère définitif de ce dépassement.
La tâche que s’assigne Hans Jonas est double mais se résout dans une seule et même intuition. Il s’agit, d’une part, de montrer que l’ontologie trouve sa vérité à condition de surmonter le dualisme du sujet et de l’objet, et de se défaire définitivement du point de vue de la substance dont celui-ci procède. Il s’agit, d’autre part, de donner un fondement à l’éthique en échappant au risque de subjectivisme. Or c’est en méditant sur la finitude de la vie que l’on pourra, quasiment dans un même geste, non seulement penser authentiquement l’ouverture de l’homme à l’être mais également le devoir qui lui incombe à l’égard de la vie et des générations futures. L’ontologie de la vie est la condition d’une anthropologie qui apprend à l’homme ce qu’il est mais aussi ce qu’il doit faire. Pour mener à bien cette restitution de l’articulation entre l’ontologie et l’éthique de la vie, nous confrontons, sur tel ou tel aspect critique de son œuvre, la pensée de Jonas aux démarches de Spinoza, Uexküll, Varela, Heidegger, Ricoeur, Levinas et Habermas entre autres.